Ce soir, Saint-Etienne reçoit Nantes.

Le journaliste Maxime Cogny vous invite à (re)découvrir la rivalité entre les Verts et les Canaris. 

Sixième et dernier volet de son étude : "Deux collectifs pour une perle rare "


6 - Deux collectifs pour une perle rare

Nous sommes en 1978. Michel Platini est alors le meneur de jeu de l‘AS Nancy Lorraine et de l'équipe de France. Il est déjà le meilleur joueur français. Avant de partir à Turin, dans l’un des plus grands clubs d’Europe, il va rester deux saisons dans un autre club français… l’AS Saint-Étienne. Pourtant, celui qui fut ballon d’or à trois reprises était à deux doigts d’évoluer au FC Nantes.
A cette époque, le sponsor maillot du FC Nantes est Europe 1. Son patron : Jean-Luc Lagardère. Le club nantais est dans une spirale positive, champion en 77, et futur vainqueur de sa première coupe de France, en 79. Jean-Luc Lagardère propose à des dirigeants du FC Nantes de réaliser un gros coup. Acheter « Platoche » à Nancy et le faire venir dans la cité des Ducs. Quelques temps plus tard, le président Louis Fonteneau soumet cette question en conseil d’administration. Résultat du vote : vingt voix contre. Une abstention. Platini ne signera jamais à Nantes.

Plusieurs hypothèses pour expliquer ce refus.
D’abord la peur, de la part de certains, de perdre du pouvoir au sein du club, et voir l’entrepreneur parisien s’impliquer dans la gestion du club. « Pourtant, Jean-Luc Lagardère serait resté à Paris, pour ses affaires et aurait suivi Nantes de loin », confie aujourd’hui Robert Budzynski, un brin amer.
Une autre hypothèse, est alors soutenue par le magazine Football sélection dans un numéro paru à la fin de la saison 81. Elle souligne l’influence du capitaine des jaunes resté seize années au club : Henri Michel.
« On sait - ou l’on ne sait pas - que Michel, l’année dernière, n’a pas accueilli de façon très favorable l’arrivée éventuelle de Michel Platini à Nantes. Séquelle de  divergences  observées en Argentine, Platini ayant, dit-on, imputé son rendement assez moyen, en effet, à la présence du Nantais à ses côtés, dans un rôle de  meneur  doublonnant avec le sien ? Pas le moins du monde, et Michel s’est expliqué à ce sujet :
- A Nantes, il y avait un milieu de terrain nommé Gilles Rampillon, dont les qualités, même si elles sont différentes de celles de Platini, ne sont pas négligeables. Je considère que l’engagement de Michel Platini aurait forcément eu pour conséquence l’élimination de Gilles, ce qui n’était ni juste, eu égard aux services que celui-ci a rendu au club, ni judicieux compte tenu de l’efficacité collective que sa parfaite connaissance du jeu nantais confère à Rampillon. »

Pour Jacques Vendroux, pas de doute possible, c'est bien Henri Michel qui a fait pression sur les membres du CA pour que Michel Platini ne signe pas à Nantes : « Car si Platini vient à Nantes, Michel perd de son aura. L'inverse aurait été tout aussi vrai ».
Quoiqu’il en soit, l’arrivée de Michel Platini au FC Nantes aurait été un plus indéniable pour le club et lui aurait permit de franchir un palier supplémentaire. « Ca ne s’est pas forcément vu sur le moment, mais je pense que dix ans après, le club en a subi les conséquences », estime aujourd’hui Thierry Tusseau.

A l'inverse, si l'arrivée de Michel Platini fait du bien aux Verts sur le court terme, son départ trois ans plus tard fera apparaître au grand jour les lacunes du club. « Platini, va consolider l'AS Saint-Étienne de manière virtuelle, analyse Jacques Vendroux. Avec son nom, il va prolonger artificiellement l'histoire des Verts ». Platini, avec les Rep, Zimako par exemple, arrive au club à un moment ou un cycle nouveau s'est enclenché dans le Forez. Saint-Étienne se régénère par l'extérieur, un mouvement amorcé dès 1978. Accéder au sommet est déjà difficile, s'y maintenir l'est encore plus. Le club l'a appris à ses dépens.

Finalement, le meneur de jeu, passe trois saisons dans le Forez. Il signe à Saint-Étienne le 1er juin 79. Courtisé depuis plus d'un an, Roger Rocher débourse un peu moins de deux millions de francs pour sa venue. Pour sa première saison, en 79-80, les Verts ne remportent aucun titre. Gérard Farison, coéquipier de Michel Platini cette année-là, juste avant qu'il n'arrête sa carrière, s’en souvient : « On voyait que ça le changeait de Nancy. A Saint-Étienne, il n’y avait pas de traitement de faveur, tout les monde était traité de la même manière ».

« Est-ce Michel Platini qui va à Saint-Étienne ou est-ce Saint-Étienne qui est allé et continuera d'aller à Michel Platini ? » s'interroge Football Sélection en 79. Toujours est-il que pour le principal intéressé, si venir dans la Loire n'est qu'une étape avant d'aller voir ailleurs, il s'agit aussi d'un challenge à relever. Il s'en explique dans le même magazine : « En venant à Saint-Etienne, je n'ai pas choisi la facilité. Au contraire : les Verts ont forgé leur réputation sans moi et si mon apport venait à se révéler moins bénéfique que prévu, on m'en attribuerait la responsabilité ». Pour Football Sélection, l’arrivée au club de Michel Platini qui coïncide avec le départ d’Oswaldo Piazza est un symbole : « Si jusqu'à présent, à Saint-Étienne on a fait de la puissance et de la hargne des armes sinon uniques, du moins largement utilisées, l'arrivée de Platini a les plus grandes chances de modifier cet état d'esprit ».
A la fin de l’année suivante, en 81, les Verts sont sacrés champions de France. Michel Platini quittera la France pour la Juventus de Turin en 1982.

En équipe de France, Michel Hidalgo, le sélectionneur, impose l'idée selon laquelle il est possible de jouer à plusieurs meneurs de jeu : Michel Platini, le Stéphanois et Gilles Rampillon, le Nantais évoluent côte à côte sans aucun problème.