En bon Marseillais, Robert Nouzaret, connaît le milieu. Il le prouve dans ce troisième volet du long entretien qu'il nous a accordé.


Continuons de faire des passerelles entre les joueurs que tu as eus sous ta direction et les joueurs de l'effectif actuel. On en arrive aux milieux défensifs. Peut-on comparer d'un côté Julien Sablé et de l'autre Jérémy Clément. Des joueurs de l'ombre...

Jérémy Clément ne sort pas de Saint-Etienne. Alors que Sablé, lui, sortait du centre. Au niveau du rôle sur le terrain, c'est à peu près la même chose. Mais la différence, elle est là : Sablé est un produit du centre de formation. C'était déjà une bonne chose de pouvoir utiliser un jeune du centre… Quand j'ai connu Sablé, c'était un jeune joueur. Il s'est imposé dans l'équipe de seconde division qui est montée. Il a pourtant eu des problèmes car pendant notre collaboration, il a perdu sa mère. Cela l'a renforcé, l'état d'esprit qu'il avait sur le terrain correspondait avec l'état d'esprit qu'il avait aussi hors du terrain. Patrick Guillou l'a aidé. Guillou avait joué à l'époque un grand rôle dans le club. Pas toujours sur le terrain, car il n'était pas toujours titulaire, mais en dehors du terrain. Et Pape Sarr, qui était le complément de Julien parce que c'était plus un n°8 qu'un n°6. Il était à un niveau qui pouvait me laisser penser qu'il aurait fait une autre carrière que celle qu'il a faite. Pape a eu une carrière en dent de scie. C'est ce qui pend au nez d'un joueur quand il change de club, car on ne trouve pas toujours le même environnement, on n'a pas toujours le même rôle, l'entraineur ne vous voit pas toujours du même œil. Est-ce que le gars qui le recrute est celui qui le fait jouer ? Tous ces éléments sont à prendre en considération. Ça peut changer le comportement et l'utilité d'un joueur. Mais sinon, c'était une doublette complémentaire et compétitive. Je pense que la doublette actuelle est une des forces de Saint-Etienne. Cette force est la capacité de récupérer le ballon très vite pour alimenter les attaquants dans les meilleures conditions. Dans ce fond de jeu, il sont très proches de ce qui se passait à l'époque.

Josuha Guilavogui prend une nouvelle dimension dans un registre de milieu défensif et relayeur avec des qualités physiques imposantes. Ce joueur t'a tapé dans l'œil ?

A part Brandao et Aubameyang voire Hamouma qui ont tendance à taper dans l'œil des gens car ils ont un rôle qui le permet, les autres sont tous des ouvriers qui effectuent un travail bien précis plus pour rendre service à l'équipe que pour se mettre en évidence individuellement. Ils se mettent en évidence par rapport aux résultats. Quand on voit leurs statistiques, les kilomètres parcourus, les ballons récupérés, qu'ils donnent, on sent que ce sont des joueurs qui vont faire parler d'eux dans les saisons à venir.

Un joueur qui correspond bien à cette description, c'est Fabien Lemoine, qui a connu une très grave blessure...

Y a pas de surprise. Son cas confirme que dans le football, quand on parle du comportement de certains joueurs professionnels, en l'occurrence Evra, par exemple par rapport à toutes ses frasques, y a d'autres joueurs qui méritent le respect par rapport aux efforts qu'ils font et aux problèmes qu'ils ont eu et qui auraient pu les empêcher de continuer leur carrière. Lemoine revient de loin quand même ! On lui a permis de revenir à Rennes, et maintenant il se retrouve dans une situation où il s'exprime et il doit se souvenir de ce qu'il a vécu. C'est un gars qui mord à pleines dents dans le ballon, un battant.

Même s'il n'a pas eu le même parcours, un autre Fabien évoluait un peu dans le même registre sous ta direction : Boudarène. Quelle image gardes-tu de lui ?

Il avait un potentiel énorme. Un peu dans le style de Sablé mais plus méchant. C'était un récupérateur, il couvrait beaucoup de terrain. Il avait un caractère imprévisible. Il a eu une hygiène de vie non adaptée au professionnalisme. C'est pour ça qu'il a disparu de la circulation.

Quelques mots sur le recrutement de Mathieu Bodmer ? Sainté a fait un mercato très pointu. Une clé de la réussite du club ?


Saint-Etienne a fait un mercato intelligent. Sainté doit allier formation et recrutement. Si tu te gourres dans le premier, le second ne se met pas en évidence et vice versa. Par exemple, Montpellier réussit par cycle. Tous les 5-6 ans, ils réussissent à allier un bon recrutement à une bonne génération qui sort du centre de formation. Ça leur permet, soit de remonter en première division, soit d'obtenir un titre ou de se stabiliser. C'est ce qui est en train de se passer à Saint-Etienne.

Passons aux milieux offensifs. Comment ne pas parler de Kader Ferhaoui, une figure de la remontée...

C'était un joueur qui avait énormément de qualités physiques, mais avec l'âge, il ne pouvait plus avoir le même rendement et on avait pris Guel à l'époque pour jouer à sa place. Mais je dis toujours que le club aurait dû faire une statue à Kader. Il a eu un comportement, sur le terrain comme en dehors, extraordinaire. Vu ce qu'il a apporté dans une période compliquée du club, il aurait dû finir sa carrière à Saint-Etienne, comme éducateur ou autre. Il faut donner cette opportunité à des gens qui rendent service à un club. Ce que l'on demande à un joueur dans le championnat, on le demande après à un éducateur ou à un entraineur. Ce n'est pas parce qu'un joueur a rendu service au club qu'on doit pour autant fermer les yeux sur tout. Faut ouvrir les portes. Si le gars est compétent, ça va. S'il ne l'est pas, l'intérêt du club prime...

Tu as retrouvé Kader récemment à Arles-Avignon...

Je suis arrivé au mois de novembre 2011 quand il était dans une situation bancale. On a essayé de changer cela et il a fini responsable des U17. Après, je voulais lui donner une responsabilité dans la post-formation mais n'on a pas pu la mettre en place car financièrement, on était gêné. Après, il a eu du mal avec l'arrivé de Mosca en association comme directeur technique. Du coup, on n'a pas trouvé de poste qui corresponde à ce qu'il sait faire. Maintenant qu'il entraîne Toulon, je lui dis : pépère, ta carrière, elle commence maintenant ! Y a eu des hauts et des bas, là, tu as la responsabilité d'une équipe de DH. C'est pas rien, Toulon ! A toi de montrer ce que tu sais faire !

Toulon fais partie des nombreux clubs partenaires de l'ASSE. Que penses-tu de cette politique de partenariats ?

Je connais par cœur le sujet, c'était ma philosophie. J'appelle ça "donner avant de recevoir". Les pros doivent montrer l'exemple et se rapprocher des clubs amateurs d'abord pour les aider. Pas pour les saigner ou récupérer des joueurs. Ensuite, il faut créer des liens techniques pour instaurer dans ces clubs une philosophie de travail qui correspond à ce que l'on souhaite. Enfin, ça passe par un échange de joueurs, sauf à un certain niveau. Le seul bémol, c'est que le football n'est pas organisé pour favoriser cela. Vu la situation du football, il va y avoir une disparition de clubs qui ne pourront plus suivre économiquement. La seule chose c'est que ces clubs, qui seront moins nombreux, créent des partenariats comme en Espagne ou en Italie avec des échanges de joueurs tout le long de la saison. Des partenariats beaucoup plus structurés juridiquement, intelligemment pour qu'il n'y ait pas de barrière. Je pense que c'est l'avenir. L'intérêt, c'est de laisser la formation à des clubs partenaires pour ne s'occuper que de l'élite. Je milite pour un championnat de réserves pour permettre aux joueurs d'avoir du temps de jeu et finir la formation. Ça coutera moins cher que d'avoir des centres de formation.


Merci à Greenwood pour la retranscription de ce troisième volet.