Poteau droit a écrit : ↑14 août 2022, 20:19
Extraits d'un article paru dans
Le Monde
Football : derrière le marché des transferts, le business florissant des rumeurs sur le mercato
Au cœur de l’été, l’information sportive peut prendre des allures de café du commerce. Depuis le 10 juin et jusqu’au 1er septembre, les clubs de football ont la possibilité de remanier leurs effectifs en achetant, prêtant ou vendant des joueurs. De quoi affoler les fans, à la recherche du moindre indice sur les mouvements.
Le 10 Sport, Foot Mercato, But ! Maxifoot, Foot 365, Football.fr, 90min, Foot01, Foot11, Le meilleur du football… la galaxie de sites Web qui traitent du sujet semble infinie. Ils appliquent souvent les mêmes recettes : design rudimentaire, très courts articles, photo du joueur et titre qui laisse espérer plus que ce qu’il ne contient.
A l’intérieur, on trouve parfois une simple déclaration issue d’un autre média, français ou étranger, rarement vérifiée ou vérifiable. Plus les dossiers concernent des stars, plus ils sont susceptibles d’attirer des lecteurs. Ce modèle a été éprouvé par les sites people, qui n’ont aucun problème à diffuser des infos contradictoires en quelques heures.
Interrogé par Le Monde, le directeur de la rédaction de Football.fr, Hassen Ferroukhi, assume être « dans la course à l’audience ». Celui qui dirige aussi Foot 365, Sports.fr, et DZfoot (les quatre sites appartiennent au groupe Reworld Media) explique que les revenus de ses sites reposent uniquement sur la publicité en ligne :
« On est sur un modèle où on cherche à faire des pages vues, donc on fait un maximum d’articles : 60 à 80 brèves par jour. Il faut qu’on en fasse des tonnes sur chaque dossier, et pour ça, il faut trouver des infos : dans la presse étrangère, notamment espagnole et italienne, mais aussi sur les réseaux sociaux. On essaie de vérifier un petit peu, mais à partir du moment où les concurrents en parlent, on en parle aussi. Le conditionnel est bien pratique. »
Et si les informations se contredisent sur un même site ? « Cela fait un article de plus sur le feuilleton. On n’est pas sur un sujet hypersérieux, ce n’est pas de la politique. Si on dit une bêtise, il n’y a pas mort d’homme », estime M. Ferroukhi.
Le trafic que peut drainer l’actualité du football est considérable. La page Facebook de 90min est « aimée » par 3,1 millions d’internautes, celles de Football.fr et de Foot Mercato atteignent chacune 3,6 millions de « j’aime ».
Foot Mercato est devenu, en dix-sept ans d’existence, depuis 2004, un acteur majeur. En juin, il était le 19e site français d’information le plus visité, avec 37,7 millions de visites, selon l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias, et même huitième application mobile la plus consultée, juste derrière Le Figaro et devant BFM-TV.
Connu pour mettre l’audience au cœur de ses préoccupations, quitte à se passer des journalistes, le groupe de presse Reworld Media a racheté en 2015 le groupe Sporever (Foot 365, Mercato 365), puis, à la fin de 2019, les sites Sports.fr et Football.fr au groupe Lagardère. En juin, la société Médiamétrie classait Sports.fr en quatrième position des « sites liés au sport », avec 4,6 millions de visiteurs uniques mensuels. Foot 365 en comptait 1,4 million et Football.fr 716 000.
Les médias ne sont pas les seuls à en profiter : avec ses 200 000 followers sur Twitter, Hadrien Grenier concurrence les sites spécialisés. Depuis près de cinq ans, ce journaliste de 24 ans effectue une revue de presse en temps réel sur le marché mondial des transferts. « Les gens me suivent parce qu’ils savent qu’ils ont toutes leurs infos au même endroit et très rapidement », analyse-t-il.
En France, ils ne sont pas si nombreux à publier des informations exclusives sur les transferts. Journaliste au quotidien L’Equipe, Loïc Tanzi fait partie de ceux qui multiplient les contacts pour démêler le vrai du faux. « Des fausses informations venant de clubs, d’agents de joueurs ou d’autres sources, j’en reçois trente par jour. Je revérifie tout », détaille-t-il.
En 2021, le marché mondial des transferts représentait 4,3 milliards d’euros, de quoi donner envie à certains d’orienter les journalistes. « Une information vraie à un moment T peut être fausse deux heures après », reconnaît Frédéric Waringuez, rédacteur en chef à L’Equipe. Le journal de référence du sport en France assure vouloir garder du recul, « quitte à se faire griller ».
Depuis quelques années, le site Foot Mercato du groupe Adversport – qui possède aussi Fichajes Futbol en Espagne et Fussball Transfers en Allemagne – cherche à renforcer sa légitimité en publiant des exclusivités. « En 2005, notre ligne était de reprendre les informations qui venaient de partout. Pour avoir une singularité, on ne pouvait plus se contenter de reprendre ce que font les autres », explique Sébastien Denis, rédacteur en chef de Foot Mercato depuis sa création. Reprises et revues de presse représentent toutefois encore une grande partie des contenus.
Si l’activité est lucrative pour les détenteurs de ces sites, elle l’est moins pour ceux qui y écrivent. Chez Foot Mercato, qui emploie une vingtaine de journalistes, le salaire d’un rédacteur ayant dix ans d’expérience plafonnait il y a quelques années à 1 600 euros par mois, selon un ancien.
Faible considération salariale, pression accrue, moins de moyens… Après douze ans chez Foot 365, son ancien rédacteur en chef Ignazio Genuardi a quitté son poste en 2019, deux ans après le rachat du site par Reworld Media. « Le message, c’était qu’on était tous remplaçables, se souvient-il. Tu trouveras toujours quelqu’un prêt à faire le boulot pour moins cher, surtout si la qualité n’est pas au centre de tes préoccupations. »
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/ar ... 55770.html