martien a écrit : ↑11 août 2021, 22:56
Hétérosexuels ? Pourquoi plus qu'ailleurs ?
Parce que le milieu du foot (et donc du supportérisme, indirectement) est encore très fortement homophobe. À ma connaissance il n'y a aucun footballeur outé en activité puisque les rares exemples qui me viennent en tête (Hitzlspeger, Rouyer, feu Justin Fashanu) l'ont soit annoncé après leur carrière, soit ont subi une discrimination de plein fouet suite à ça qui les a fait complètement couler professionnellement. Et quand on voit que Graeme le Saux s'est fait pourrir toute sa carrière par d'autres joueurs à cause de son homosexualité seulement supposée du fait qu'il faisait "intello", on peut comprendre pourquoi.
Quand tu rapporters ce si faible nombre au nombre total de footballeurs pro sur les 30 dernières années dans ne serait-ce que les 5 championnats européens (on pourrait même dire 5 ou 10, ce serait pareil) puis que tu compares ce rapport au pourcentage estimé de personnes LGBTQ+ dans la population mondiale (qui est aux alentours de 10 je crois bien), tu te rends compte qu'il y a une surreprésentation colossale. Mais vraiment colossale. Tellement colossale que je vais développer à quel point c'est statistiquement choquant.
On va garder en tête ce chiffre de 10% d'hommes LGBTQ+ (les dernières études faites en France recensent plutôt du 100-79 = 21% chez les hommes, 10% étant chez les femmes, mais mieux vaut partir d'une estimation basse). Pour montrer de façon très nette cette surreprésentation des footballeurs
considérés comme hétérosexuels (la distinction est importante, on y reviendra plus tard), on va s'intéresser à un autre critère arbitraire mesurable, par exemple la taille. D'après des stats pas forcément très fiables que j'ai trouvées sur la population américaine (flemme de chercher, mais on va supposer que ça se transpose bien au cas de la France puisque le chiffre paraît raisonnable), à peu près 10% des hommes en France font 1m65 ou moins. Rien que sur la saison 2016-2017, je peux te nommer 5 joueurs de Ligue 1 (Verratti, N'Guessan, Cioni, Cabot, Sammaritano) appartenant à cette catégorie.
Alors
comment se fait-il que sur les 10 dernières années il soit impossible de nommer un seul footballeur de Ligue 1 ouvertement LGBTQ+, à moins que j'ai raté quelque chose ? Sachant qu'en nommer un seul voire deux au cas où j'en aurais effectivement loupé ne changerait vraiment rien à mon propos, statistiquement on s'attendrait au minimum à plus d'une dizaine à vue de nez.
Fait aggravant, même si ce n'est pas vrai pour tous les postes sur le terrain (Petite nostalgie en repensant à Bakari Koné de Nice, l'un des joueurs stars de Ligue 1 quand je découvrais le foot étant matru), il est connu que plusieurs jeunes sont recalés de centre de formation chaque année sur des critères physiques, et la taille peut être un de ces critères. On pourrait donc s'attendre à ce que les joueurs de petite taille soit plus rares en proportion dans la population des joueurs de Ligue 1 que dans la population mondiale, subissant une discrimination au moment de pouvoir percer au niveau pro. Peu importe à quel point cette discrimination serait "justifiable" ou non, peu importe son ampleur, elle existe au moins assez faiblement. Pourtant, il n'est pas difficile de trouver des joueurs d'assez petite taille en Ligue 1, ce qui doit donc signifier que les joueurs LGBTQ+ seraient sujets à une discrimination encore plus forte.
Maintenant qu'on a établi que la sur-représentation extrême des joueurs
considérés comme hétérosexuels est selon toute vraisemblance impossible à attribuer seulement au hasard, on va devoir chercher à expliquer ce phénomène. Pour cela, il existe plusieurs hypothèses complémentaires qui tendent cependant toutes à la même conclusion (celle que j'ai énoncée au début de mon post, à savoir que le milieu du foot est fortement homophobe):
Hypothèse 1: Les joueurs LGBTQ+ ne sont juste pas présents en Ligue 1, l'ultra majorité (et on peut même dire la totalité à quelques exceptions près) des joueurs de Ligue 1 sont hétérosexuels
Selon cette hypothèse, tous les joueurs de Ligue 1 des 10 dernières années sont ce qu'ils disent être en terme d'orientation sexuelle (on considérera en bons membres d'une société hétéronormative que tous les joueurs qui ne sont pas publiquement en couple avec une femme sont hétéros jusqu'à preuve du contraire). Ainsi la Ligue 1 devient une sorte de paradis Orbanesque débarrassé du fléau arc-en-ciel, Christine Boutin est nommée présidente de la LFP, ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants, bla bla bla. Cela nous pousse quand même à s'interroger sur la raison pour laquelle les personnes LGBTQ+, pourtant représentant par hypothèse 10% de la population française, sont 10 à 100 fois moins présentes en Ligue 1, et pour cela, deux sous-hypothèses complémentaires se dégagent:
-> Sous-hypothèse 1: Les joueurs que l'on soupçonnerait d'être LGBTQ+ en centre de formation sont systématiquement virés avant de pouvoir passer pro, une chasse active est menée par les clubs contre le moindre dangereux pédé tentant de passer entre les mailles du filet. Même si ça ne m'étonnerait pas que quelques carrières aient malheureusement été brisées pour cette raison sans que ça ait filtré dans les médias, je ne pense pas que cette hypothèse soit très raisonnable pour expliquer de façon généralisée ce déséquilibre statistique.
-> Sous-hypothèse 2: Les personnes LGBTQ+ se détourneraient d'elles-mêmes du foot en club à un assez jeune âge face à l'homophobie ordinaire qu'elles y rencontreraient. Une hypothèse qui se tient beaucoup mieux quand on a déjà mis les pieds dans un vestiaire, que je partage au vu des témoignages que j'ai lus et entendus, et que les médias sportifs alimentent encore largement que ce soit en interviewant cet abruti de Cassano ou en laissant Julien Cazarre caler de façon répétée des segments qu'on pourrait résumer par "mdr regardez Pavard la tapette" du temps où il était à Lille.
Hypothèse 2: Les joueurs LGBTQ+ sont présents en Ligue 1 mais ne s'affichent tout simplement pas
L'hypothèse inverse voudrait que les joueurs LGBTQ+ soient en fait dans une proportion à peu près similaire à celle dans la population totale en France ou dans le monde, mais que ceux-ci ne se déclareraient pas comme tels. On pourrait de prime abord se dire que ce serait simplement par "pudeur" (faute d'un meilleur mot), que la sexualité est une affaire privée, etc. et je comprends que cette hypothèse soit séduisante: elle occulte complètement tout problème systémique et laisse d'une certaine façon entrevoir un monde plus ouvert à la différence puisque l'homosexualité, voire la transidentité ou la non-binarité d'un joueur serait des non-évènements. Sauf que l'on sait très bien que cela ne marche pas comme ça. En Angleterre, dès que l'existence d'un joueur homosexuel en PL a été mentionnée par le secret footballer, les médias se sont rués à la traque pour découvrir de qui il s'agissait, et il ne fait aucun doute que ce serait la même chose de notre côté de la Manche. Même si on peut espérer que les choses changent vers plus d'acceptation, il paraît difficile d'imaginer que la plupart des footballeurs LGBTQ+ qui vivraient leur sexualité "de façon privée" (cet euphémisme ne trompe personne) le feraient d'une façon sereine. Au contraire, sous l'hypothèse 2, il y a fort à parier que les footballeurs LGBTQ+ se cacheraient par peur des conséquences (encore une fois, cf feu Justin Fashanu) développeraient une haine d'eux-mêmes et une crainte d'être jugés pour ce qu'ils sont au vu des propos qu'on peut encore largement voir dans le monde du foot, ce qui est caractéristique des récits de toutes les personnes ayant dû et devant vivre leur sexualité dans le secret et la peur.
Personnellement, je pense que cet écart statistique colossal est probablement dû à un mélange des deux hypothèses, qui renvoient de toute façon à la même conclusion que le foot a un sérieux problème avec l'homophobie. Ce problème se retrouve aussi largement dans les stades puisque tout le monde sait comment les groupes ennemis des MF aiment épingler de façon ouvertement homophobe leur amitié avec les UB, qui sont d'ailleurs connus pour leur travail là-dessus. Cependant, si je n'ai pas entamé mon paragraphe par ce qui se dit dans les stades, c'est pour une raison: la LFP et le ministère des Sports profitent de la prolifération de comportements qui sont effectivement homophobes dans le même but que depuis toujours, à savoir éradiquer toute possibilité de contestation des stades.
Traiter quelqu'un d'"***_**" ça implique que la personne qui se fait enculer devient inférieure à cause de ça, comme la sodomie est dans l'imaginaire collectif largement associée à l'homosexualité, on peut considérer que c'est une insulte homophobe, très légèrement moins homophobe que "pédé" ou "tapette" qui sont sans équivoque peut-être, mais homophobe quand même. Mais en même temps ça roule bien sur la langue et tout le monde est habitué à l'employer dans un contexte courant, pas seulement au stade (l'hypocrisie à ce sujet venant des instances et de carton rouge est particulièrement glorieuse, enfin c'est soit ça soit ils sont jamais allés plus au sud que Dijon), sans nécessairement penser à la signification de ce mot. Est-ce que ça veut dire que puisque la plupart des gens ne pensent pas à mal en le disant, ça ne pose aucun problème et il faut laisser les choses telles qu'elles sont ? À mon avis, non.
De même que dans l'autre sens il a été prouvé que la représentativité de minorités dans les médias amélioraient grandement les problèmes de discrimination envers lesdites minorités et la confiance en soi des gens y appartenant, utiliser un mot qui a une origine homophobe identifiable jusque dans son étymologie directe, même si son sens varie au cours du temps, participera toujours à banaliser l'homophobie, et c'est un travail sur soi qu'il faut effectuer pour se débarrasser de cette influence. (Spoiler alert: les tribunes de Ligue 1 ne représentent pas 100% des raisons pour lesquelles autant de gens emploient cette insulte en France) C'est bien pour ça que ça n'a aucun intérêt de se raccrocher au mot "***_**" comme faisant partie du folklore des tribunes: non seulement dans les faits je ne pense pas que beaucoup de gens refuseront d'aller en kop si un jour les MF et les GA décident de supprimer ou reformuler leurs chants contenant cette insulte, mais c'est une attitude qui perpétue une oppression sur une partie de la population et qui offre un casus belli parfait à ceux qui veulent voir disparaître les chants en tribunes, parce que c'est très clairement leur objectif final. Ou alors il s'agit dans le meilleur des cas de personnes complètement déconnectées du monde, méprisantes envers tout ce qui semble relever de la classe populaire, pensant servir la cause en appliquant un pansement sur ce qui est au mieux une éraflure et au pire une jambe de bois: bref la même veine que les "écolos" qui pensent que le problème de la planète c'est les pauvres qui achètent trop de malbouffe en grande surface.
Ça me révolte tout particulièrement qu'on utilise un combat d'affirmation permanent pour lequel des personnes meurent chaque jour, qui a pour seul but de laisser les gens vivre librement sans crainte de jugement ou de stigmatisation, comme la nouvelle botte secrète de l'arsenal répressif contre toute contestation d'un football qui part de plus en plus en vrille. La Ligue, on ne t'encule pas, mais j'espère bien qu'on te brûlera.