Formé à Saint-Etienne, il a joué une saison à Nantes (1986-1987) avant de revenir dans son club de coeur. Actuellement à la recherche d'un nouveau poste d'entraîneur après sa longue expérience malherbiste, l'ancien avant-centre des Verts et des Canaris Patrice Garande a accepté de répondre à nos questions avant le match d'ouverture de cette 15e journée de L1.


Tu as eu une expérience de courte durée à Nantes, lors de la saison 86-87, quel souvenir gardes-tu de cette saison-là ?

A la fois un bon et un mauvais. Quand je suis arrivé à Nantes, j’ai joué les 5 premières journées de Championnat, ça se passait plutôt bien, puis j’ai eu une fracture du péroné donc j’ai été arrêté presque 6 mois puisque j’ai recommencé à jouer après la trêve. Ca fait une saison un peu compliquée, mais malgré tout, j’ai passé de bons moments, car j’ai pu côtoyer un entraîneur avant-gardiste : Jean-Claude Suaudeau, qui m’a appris beaucoup de choses dont je me suis servi ensuite lors de ma carrière d’entraîneur.

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Tu arrives en 86 pour pallier le départ de Vahid Halilhodžic au poste d’avant-centre, c’est Coco Suaudeau qui t'a fait venir à ce moment-là ?

Oui, avec Robert Budzynski qui était directeur sportif à l’époque ils faisaient le recrutement, et j’arrive en même temps que Philippe Anziani.

A l’issue de cette saison, tu retournes à Saint-Etienne, pour deux très bonnes saisons. Sont-elles les plus belles de ta carrière ?

Elles ont compté oui. J'’ai une grande histoire avec Saint-Etienne, je suis Lyonnais d’origine mais Stéphanois d’adoption puisque j’arrive à 14 ans au club, donc j’ai connu un peu toute l’épopée verte. Ensuite je suis parti au CS Chênois (en Suisse, lors de la saison 1979-1080, ndp²), où j’ai suivi Hervé Revelli qui était entraîneur là-bas, puis j’ai fait mon chemin, et quand je suis revenu à Saint-Etienne ça a coïncidé avec le retour de Robby Herbin. Mon association avec Philippe Tibeuf fonctionnait très bien (surnommé les Dupont et Dupond, ndp²), on avait aussi une très bonne équipe avec Castaneda, Sivebaek, El Haddaoui… et pour moi, cela reste un souvenir fantastique.

Robert Herbin t'a inspiré ensuite pour ta carrière d’entraîneur ?

Oui évidemment. Tous les entraîneurs que j’ai eu m’ont apporté quelque chose. Dans la carrière de Robby il y a énormément de choses à prendre, et quelques fois aussi on se rend compte que lorsque l’on était joueur on ne comprenait pas forcément tout, mais maintenant il y a énormément de choses dont je me sers oui.

Vahid a déclaré avant le match de ce vendredi qu’il était nostalgique de cette période-là. Tu partages ce sentiment ?

Ça dépend de ce que cela signifie. Si nostalgique veut dire « c’était mieux avant », alors non je ne fais pas partie de cette catégorie, car chaque période a ses bons et moins bons côtés. Après, c’est vrai qu’à cette époque-là les Saint-Etienne – Nantes étaient toujours de très beau matchs : Saint-Etienne dominait le foot français et Nantes a eu sa période aussi. C’étaient des matchs aussi très tendus. C’est vrai qu’à l’époque, si je remonte à mon enfance, je me rappelle que Nantes jouait à Marcel-Saupin et Geoffroy-Guichard n’était pas ce qu’il est maintenant, donc c’étaient des matchs toujours très bouillants, de haut-niveau, avec deux philosophies de jeu un peu différentes.

Quand on me parle de Nantes – Saint-Etienne, j’ai d’excellents souvenirs : je me souviens d’une demi-finale de coupe de France (1977, ndp²), où Saint-Etienne s’incline 3-0 à l’aller, et remporte le match 5-1 au retour, avec un but à la dernière minute des prolongations marqué de la tête par Hervé Revelli, avec Patrick Revelli qui était accroché je crois au short ou au maillot de Bertrand-Demanes. Il y avait toujours une espèce de rivalité entre ces deux clubs-là parce qu’ils ont incarné des valeurs différentes : Nantes c’était le beau-jeu, et Saint-Etienne, c’était pas mal aussi au niveau du jeu,  mais c’était une autre philosophie avec cet espèce de rouleau-compresseur, un mental exceptionnel et un public capable de renverser des montagnes. Je pense que s’il y avait bien une équipe qui arrivait à rendre possible l’impossible, c’était bien le Saint-Etienne de cette époque-là.

Le public nantais était-il comparable ? La rivalité se jouait-elle aussi en tribunes ?

Non ; le public de Marcel-Saupin était très chaud, puis quand ils sont passés à la Beaujoire, on ne peut pas dire qu’il y avait une ambiance exceptionnelle. Mais la génération actuelle de supporteurs nantais arrive à mettre une bonne ambiance. En tout cas on ne peut pas comparer. A Saupin, on avait peut-être une sorte de rivalité du public, mais je ne sais pas s’il y a un endroit capable d’égaler la ferveur du Chaudron dans son ancienne configuration. Et même maintenant, quand c’est plein, il est compliqué de faire mieux que Saint-Etienne, seul Marseille y arrive peut-être.

Qu’en est-il de l’identité de jeu de Saint-Etienne aujourd’hui ?

Cela dépend de ce qu’on entend par « identité de jeu ». On met un peu tout et n’importe quoi derrière cette expression. Comme pour toute équipe qui a dominé le foot français à un moment donné, il y a eu ensuite une période un peu plus délicate ; j’ai senti à Saint-Etienne une certaine continuité avec toutes les années Galtier, et aujourd’hui Gasset est en train de poursuivre cela, c’est en train de prendre forme. En tout cas, la côte d’amour du club est toujours la même.

Quand il est arrivé à Nantes cette année, Vahid a dit qu’il savait ce qu’était le jeu à la nantaise, mais qu’il fallait avoir les joueurs pour le pratiquer. Es-tu d’accord avec cela ?

Oui, parce que le jeu à la Nantaise j’étais à l’intérieur, et on avait une certaine façon de s’entraîner avec Suaudeau. Je me rappelle que quand je suis arrivé d’Auxerre, au bout de 15 jours d’entraînement j’avais déclaré « Bon ben maintenant je sais pourquoi ils jouent comme ça » : il arrivaient à jouer entre eux les yeux fermés ; mais effectivement il faut avoir les joueurs pour. Aujourd’hui, c’est un peu plus compliqué de développer un identité de jeu. Mais encore une fois il faudrait expliciter ce terme. En tout cas, il y a une réalité : Saint-Etienne était une ville ouvrière, minière, donc les gens se reconnaissaient dans l’équipe parce qu’elle ne lâchait jamais, renversait des situations se battait jusqu’à la dernière minute… Mais ce n’était pas que cela, il y avait aussi du talent : si on prend les Verts de 76, ils sont presque tous internationaux. En tout cas, on associait une équipe à une ville, avec un public qui se reconnaissait là-dedans. On ne joue pas le même football à Saint-Etienne qu'à à Lyon ; en tout cas à cette époque c’était vrai. Aujourd’hui, c’est un petit peu moins vrai, car les temps ont changé, les joueurs restent moins dans les clubs : à Saint-Etienne, il y avait une ou deux recrues par an, mais il y avait toujours une ossature de joueurs alors que maintenant c’est très difficile de garder une équipe sur 3-4 ans.

L’identité de jeu a-t-elle un lien avec la charge de travail aux entraînements ?

Ce qui est sûr, c’est que Saint-Etienne a été un précurseur dans ce domaine-là. A cette époque Saint-Etienne a décomplexé un peu tout le monde avec la Coupe d’Europe, en montrant le chemin, et peut-être qu’effectivement on travaillait plus à Saint-Etienne qu’ailleurs. Je ne pense pas qu'aujourd'hui on travaille moins, mais on travaille différemment, c’est sûr : il y a du travail plus individualisé au niveau du physique, et puis le foot a évolué dans sa globalité. Le plus grand changement, c’est qu’à cette époque-là, les joueurs restaient dans leur club, il n’y avait pas l’arrêt Bosman et tout ça : pendant des années, Saint-Etienne, Nantes, Lyon… avaient la même équipe. L’équipe qui faisait le plus de transferts, mais qui correspondait aussi à son image, c’était Marseille, avec Jairzinho, Paulo César, Skoblar… il y avait un peu plus de mouvements là-bas, mais parce que cette ville avait besoins de stars ; alors qu’à Saint-Etienne, la star c’était l’équipe, avec à l’intérieur de sacrés joueurs.

Qu’est-ce que tu as pensé de Vahid en tant que joueur, et aujourd’hui en tant que coach ?

Le joueur était phénoménal ; c’était un avant-centre qui avait toutes les qualités, en plus d’un gros mental : il était méchant sur un terrain, il ne se faisait pas bouger par les défenseurs alors qu’à l’époque les défenseurs étaient de gros clients, puisque si aujourd’hui les joueurs sont protégés, à l’époque il y avait certains matchs où il ne fallait pas se dégonfler. Et puis il enfilait les buts. Je trouve qu’en tant qu’entraîneur il est un peu pareil : c’est un gagneur, il a une certaine fierté, une confiance en lui, et un gros caractère qu’il transmet à l’équipe. Après ça se passe bien, des fois moins, mais c’est comme pour tous les entraîneurs : certains groupes réagissent bien à cela, d’autres moins, et on peut dire que maintenant qu’il est arrivé à Nantes il a transformé l’équipe. Je pense que ça va donner un bon match, musclé – mais dans le bon sens du terme.

Et c’est un autre coach d’expérience en face, avec Gasset, est-ce qu’ils sont comparables ?

Jean-Louis, je le connais très bien, c’est un gagneur aussi… mais dans la personnalité et la communication il est très différent : il est très exigeant dans le travail, il est très pointu, notamment en ce qui concerne la tactique, et il a une relation assez proche avec ses joueurs, très chambreur… Après, cela n’empêche pas que lorsqu’il faut taper du poing sur la table, il sait le faire. Il met les joueurs devant leurs responsabilités, mais il leur donne aussi beaucoup de confiance. Je trouve qu’il a fait un travail incroyable quand il est arrivé la saison dernière, avec un recrutement presque à lui tout seul, et une longue série d’invincibilité.

Que penses-tu de l'avant-centre nantais Emiliano Sala, que tu as côtoyé à Caen ? Est-ce que son début de saison te surprend ?

Non pas du tout, c’est un garçon que j’adore. C’est le style d’avant-centre que j’apprécie beaucoup : il est sur tous les ballons, et contrairement à ce qu’on pense il a une technique d’avant-centre de haut-niveau. En plus de cela, c’est un mec adorable.

Quels sont les joueurs qui t'impressionnent à Saint-Etienne ?

Moi celui que j’adore, c’est Ruffier. Indépendamment de ses qualités, ce qu’il dégage est important : il donne beaucoup de confiance à l’équipe. Et puis il y a Khazri aussi en pointe qui est très fort techniquement, Cabella et Mvila qu’on ne va pas présenter. il y a un joueur que j’aime particulièrement c’est Selnaes : même les saisons précédentes lorsqu’on trouvait parfois qu’il n’était pas forcément bon, j’ai toujours pensé que c’était un joueur de devoir qui jouait simple et souvent juste. On n’en parle pas beaucoup, mais je trouve que quand il n’est pas là ça se ressent.

A propos de Khazri, quel est ton avis ? Doit-il jouer en pointe, ou c’est plutôt la place de Diony voire Beric ?

Ca, c’est les choix de Jean-Louis : quand on est entraîneur, on cherche avant tout l’équilibre, donc s’il fait jouer Khazri en pointe c’est que c’est ce qu’il y a de mieux. Parfois ce sera Diony ou Beric, et même Diony peut jouer sur le côté gauche comme c’était le cas lors des derniers matchs : Gignac a parfois joué sur ce côté, et ça lui permettait de rentrer pour frapper.

Il y a aussi Romain Hamouma que tu as eu sous tes ordres à Caen. On a parfois l’impression qu’il manque de régularité, qu’en penses-tu?

C’est un excellent joueur, qui a beaucoup été ennuyé par les blessures ces dernières saisons. Après, ce n’est jamais évident quand on n’est pas titulaire de trouver le rythme, même s’il y a peut-être une raison à cela. En tout cas, c’est un joueur dont on ne peut pas remettre en cause l’investissement. Il a été important dans le renouveau de Saint-Etienne, et il y a eu des périodes où il portait l’équipe à lui-seul.

Tu as eu des expériences dans de nombreux clubs de Ligue 1. Ton club de cœur, c'est Sainté ?

Oui. D’autres clubs m’ont marqué évidemment, Auxerre où j’ai passé de bonnes années, mais je me sens stéphanois d’adoption, j’ai toujours eu une bonne relation avec les gens là-bas, et je n’ai jamais pu retrouver ailleurs ce que j’avais à Saint-Etienne. Après, je replace ça dans le contexte de l’époque : je me rappelle qu’on allait s’échauffer derrière la tribune, puis pour aller sur le terrain on traversait la foule, dans une ambiance extraordinaire, donc j’ai adoré et j’ai été très marqué par ça.

Entraîner Saint-Etienne, c’est ton rêve ?

(Rires) Je suis un peu réaliste, mais si j’en ai l’occasion je n’y réfléchirai pas longtemps c’est certain.

 

Merci à Patrice pour sa disponibilité