Dans le deuxième volet du long entretien qu'il a accordé aux potonautes, l'entraîneur du Gazelec Ajaccio Thierry Laurey revient sur son expérience de recruteur à l'ASSE en 2011.


Après avoir joué à l'ASSE d'octobre 1990 à mai 1991, tu es revenu au club en tant que superviseur de mars à novembre 2011. Peux-tu nous rappeler les circonstances de ton retour ? (Poteau gauche)

 

L'été 1991, j'ai quitté Sainté pour Montpellier, où j'ai enchaîné les saisons. A la fin de ma carrière de joueur,  je suis resté au MHSC, où j'ai occupé diverses fonctions. J'ai notamment entraîné les 16 ans, les 18 ans, la réserve et j'ai également été entraîneur adjoint de l'équipe première. J'ai ensuite entraîné Sète en National puis Amiens en L2. Après j'ai eu une longue traversée du désert. Je suis resté au chômage presque deux ans. Je voulais à tout prix revenir dans le football, avant tout comme entraîneur. Mais on m'a dit "est-ce que le scouting, le recrutement, ça pourrait t'intéresser ? " J'ai répondu favorablement, en précisant que je ne voulais pas faire ça n'importe où. On m'a dit : "C'est Saint-Etienne qui cherche un scout". Du coup j'ai accepté. J'ai rencontré Roland Romeyer, ça s'est fait plus ou moins par l'intermédiaire de Stéphane Tessier, qui était à l'époque le directeur général de l'ASSE.

 

Ça t'a plu ? Scout toujours ? (Poteau droit)

 

Non, je ne suis plus scout ! (rires) Mon métier, c'était entraîneur et ça l'est devenu. Mais cette expérience a été super enrichissante d'un point de vue professionnel. D'un point de vue personnel, c'était un peu compliqué car il fallait que j'habite à Saint-Etienne. J'étais logé à l'Etrat, je voyais ma femme au mieux tous les quinze jours. C'était parfois un peu compliqué, il m'est arrivé de l'emmener avec moi quand j'allais en Suisse ou pas trop loin ou en France. Ça ne faisait pas de problème, ma femme m'accompagnait parfois pour qu'on puisse passer du temps ensemble. Je pense que j'aurais pu faire le même travail en restant chez moi mais bon, ce n'est pas un problème.

 

En quoi consistait précisément ton travail ? (Barre transversale)

 

J'étais en relation directe avec l'équipe professionnelle. Je devais aller voir des matches à droite à gauche pour scouter des joueurs, faire des rapports sur des éléments potentiellement intéressants pour le club. J'établissais mon programme, je le faisais valider ou pas par Christophe. Il me disait : "OK, pas de problème!" Parfois il me glissait des infos : "On m'a parlé de tel joueur, est-ce que tu pourrais aller jeter un coup d'œil." Il avait confiance en moi, dans ce que je pouvais lui dire. On était en phase, c'était plutôt bien. Quelquefois c'était même le président ou Dominique qui me sollicitaient en me disant : "On m'a parlé d'un tel, peux-tu aller le voir ?" C'était mon rôle, du coup j'ai avalé les kilomètres.

 

Plus de 45 000 en voiture, sans compter les trajets en train et en avion selon un reportage paru le 13 septembre 2011 dans France Football. Tu avais notamment supervisé à plusieurs reprises Paulao. Avec le recul, tu ne te dis pas que t'aurais mieux fait de rester chez toi mater des matches en streaming pour tenter de choper les nouveaux Alex et Aloisio ? (José)

 

Non mais attends, moi je reste persuadé que Paulao était une très bonne affaire ! Un joueur qui fait une finale de Ligue Europa, ce n'est pas un pingouin ! Faut pas rêver ! Christophe pourrait t'expliquer un peu plus en détail le pourquoi du comment. Paulao ne s'est pas adapté à Saint-Etienne mais ce n'est certainement pas un problème sportif. Surtout pas ! Moi je te le dis, des défenseurs comme Paulao, j'aurais aimé en avoir plus d'un dans ma carrière ! Honnêtement ! Il y a eu d'autres choses qui sont rentrées en ligne de compte, malheureusement. Des choses qu'on ne maitrise pas forcément avec des joueurs étrangers. Quand tu vas chercher un joueur étranger, il faut que le joueur fasse tout pour s'adapter. Mais il faut aussi que les gens qui l'accueillent fassent tout pour l'intégrer, c'est important ! Attention, je ne suis pas en train de dire que Sainté n'a pas fait ce qu'il fallait ! Mais c'est quelque chose que j'ai retenu.

 

Les joueurs qu'on a fait venir avaient le niveau pour jouer à l'ASSE, sans problème. Ils pouvaient apporter un plus à l'équipe. Malheureusement avec Paulao la greffe n'a pas tout à fait pris. Moi je l'ai vu jouer en championnat du Portugal, c'était plus que correct. Je l'ai surtout vu jouer en Europa League. Quand tu joues en quart de finale ou en demi-finale de l'Europa League, tu n'es pas un pingouin ! Surtout quand tu vas en finale avec une équipe comme Braga et que tu élimines Benfica, une équipe qu'on voit en Champions League régulièrement. Je me souviens qu'il avait pris l'avant-centre paraguayen Oscar Cardozo, un super joueur. Et ben il l'a mis sous l'éteignoir ! Voilà quoi, je ne vais pas faire trois jours sur Paulao mais pour moi c'était un très bon joueur.

 

Quels sont les autres joueurs que tu as supervisés ayant signé à Sainté ? (Brakhow)

 

Il y avait Banel Nicolita. Je suis bien sûr allé le voir en Roumanie. C'était un joueur correct. Quand il a signé chez nous, on savait les qualités et les défauts qu'il avait. Cela correspondait à ce que l'on pouvait mettre. Et puis il y a eu Max-Alain Gradel que j'ai supervisé plusieurs fois à Leeds. C'est vrai que lui a été une réussite par rapport à Paulao. Le recrutement n'est pas une science exacte. Parfois il y a des réussites, parfois il y a des échecs. Pour en revenir à Paulao, il faut savoir une chose : on l'a eu gratuit. Il était en fin de contrat. Banel Nicolita, c'est un joueur qui était capitaine de l'équipe du Steaua Bucarest et de l'équipe de Roumanie, il a couté seulement 700 000 euros. A un moment donné, il faut aussi tenir compte du facteur financier, on ne l'a pas payé 5 M€ ! A l'époque où je faisais partie de la cellule de recrutement de l'ASSE, le club n'avait pas de gros moyens. Si on devait recruter quelqu'un, la barrière était fixée à 2 M€, 2,5 M€ grand max ! Aujourd'hui, le club est capable de mettre 6 M€ sur un joueur, on l'a vu avec Robert Beric. J'aurais aimé pouvoir mettre une telle somme pour un joueur mais ce n'était pas le cas. Quand tu es recruteur, il faut faire avec les moyens qu'on te donne et essayer d'être malin comme dirait Christophe.

 

Dans le cadre de tes déplacements, tu regardais combien de matches par semaine ? (Aloisio)

 

Beaucoup ! (rires) Il m'est arrivé plusieurs fois d'enchaîner un match le jeudi soir en Europa League, notamment en Belgique et en Suisse. Le vendredi j'allais voir un match de Ligue 2. Le samedi je me faisais deux matches en Belgique, aux Pays-Bas en Suisse ou au Portugal. Au Portugal aussi. Le dimanche, il m'arrivait de voir trois matches. Aux Pays-Bas par exemple, il y a des matches à midi et à 16h00, du coup ça me laissait le temps d'en voir un troisième. Le lundi, je voyais souvent un match de Ligue 2. Du coup rentrais souvent à Sainté le mardi midi. Voilà, c'est assez simple mais ça fait des heures, il faut y passer du temps.

 

Maintenant tu peux l'avouer. Lynel Kitambala et Steed Malebranque, c'est toi ? (José)

 

Absolument pas ! Il y a des moments où je validais des joueurs en disant "il a telles qualités, tels défauts, il pourrait jouer chez nous". Parfois ça ne s'est pas fait, pour des raisons sportives ou budgétaires, il faut être honnête. Je ne citerai pas les joueurs, ça ne ferait pas avancer le schmilblick ! Quelques fois il y a des noms que je n'ai pas donnés de joueurs qui n'ont pas signé. Heureusement d'ailleurs ! Moi j'étais juste un pion en fait. Mais c'était génial car ça m'a permis de rencontrer beaucoup de personnes du football, beaucoup de recruteurs d'autres clubs. Il m'est arrivé de rentrer dans certains stades avec les invitations d'un autre club. Une fois je suis arrivé à un match au dernier moment en pensant que pourrais rentrer. Je ne pouvais pas rentrer mais le mec de l'Ajax m'a reconnu. En plus il parlait français, c'est vachement sympa. Il y a des connexions, des relations qui s'établissent avec des gens qui sont contents de te revoir. Ce sont des gens sympas pour la plupart, on fait tous le même métier. La concurrence existe mais pas entre nous, c'est plutôt une concurrence entre les clubs. Chacun fait son boulot. Sur certains matches, il y a 10, 12 ou 15 personnes qui sont là comme toi en train de faire le même boulot de scout. Mais chacun ne vient pas forcément superviser les mêmes joueurs. On a des échanges intéressants.

 

As-tu attiré au Gaz des joueurs que t'avais supervisé pour Sainté ? (Poteau gauche)

 

Pas des joueurs que j'avais supervisés pour l'ASSE mais des joueurs que j'avais remarqués en allant superviser d'autres joueurs pour Saint-Etienne. Jacques Zoua par exemple, je l'ai vu à Bâle. Je suis allé plusieurs fois à Bâle dans le cadre de mes missions de scout. Je me souviens d'un match - j'étais malade comme une bête ce jour-là – où Jacques Zoua m'avait tapé dans l'œil. Il était très jeune à l'époque, il arrivait du Cameroun. C'était un supersub. L'attaquant tunisien Amine Chermiti, qui nous a rejoints au Gazelec ce mercato d'hiver, je l'avais vu évoluer avec le FC Zurich. Mais je ne l'avais pas supervisé pour Saint-Etienne. Pour être honnête, ce n'est pas le même niveau : au Gazelec, tu n'as pas les moyens de cibler les mêmes joueurs qu'un club aussi riche que Sainté !

 

Quand tu étais recruteur à Sainté, as-tu rendu des avis favorables sur des joueurs qui n'ont pas signé à l'ASSE mais ont explosé depuis ? (Poteau droit)

 

Non, pas spécialement. Il y en a bien un, mais il était très cher. Il était largement au-dessus de nos moyens de l'époque. Il a bien marché l'année dernière à Wolfsburg. C'est Bas Dost, un grand attaquant néerlandais qui comme Oussama Tananne a joué à Heracles Almelo. Il avait 22 ans et jouait à Heerenven quand je l'ai supervisé. Wolfsburg a mis pas mal d'argent sur lui en 2012. Il a eu du mal au début là-bas, mais il a marqué un paquet de buts la saison dernière en Bundesliga. C'est un attaquant un peu dans le même style qu'Alexander Soderlund mais beaucoup plus cher. C'était un pari à faire.

 

Si tu devais choisir un joueur de l'équipe actuelle de Sainté pour renforcer ton équipe, lequel prendrais-tu ? (Huracan, cedric 26)

 

Le joueur qui serait parfait pour notre équipe, ce serait bien sûr Loïc Perrin. Moi j'adore ce joueur. C'est l'un des meilleurs défenseurs français. Il est certes de temps en temps rattrapé par des petites blessures mais pour moi c'est un top joueur. En plus il est l'âme du club. Il est excellent. On voit que sa qualité de milieu de terrain ressort derrière. Il ressort les ballons proprement, il est serein dans ses relances, il va assez vite. Il a une aura sur ses partenaires. C'est en plus un garçon qui marque des buts.

 

A l'inverse, quel joueur de ton effectif selon toi aurait les capacités pour jouer à l'ASSE ? (Huracan, cedric26)

 

Aucune idée. Je ne sais pas. J'ignore de quoi Saint-Etienne a besoin aujourd'hui. J'ai des garçons qui ont le potentiel, certainement. Mais il faut être honnête, il n'y en a pas 50 car les deux clubs ne boxent pas dans la même catégorie. Jacques Zoua est un international camerounais intéressant. Dans une équipe où il y aurait un peu plus de qualités qu'au Gazelec, il pourrait peut-être tirer son épingle du jeu. Il a joué à Bâle, à Hambourg. Il est encore jeune, il n'a que 24 ans et demi. Je pense qu'il a encore une marge de progression et qu'il pourrait éventuellement postuler. Après, de là à dire que c'est un garçon qui sera titulaire indicutable dans une équipe du niveau de Saint-Etienne, je n'en suis pas là !

 

Un autre joueur de mon effectif avait le niveau et aurait pu rejoindre l'ASSE. Je peux en parler maintenant car il y a prescription. A l'époque où j'étais scout à Sainté, on avait fait le forcing pour faire venir Greg Pujol. Finalement il avait préféré signer à Valenciennes, il avait prolongé là-bas. C'est un garçon qui était en pleine force de l'âge il y a quatre ou cinq ans. Aujourd'hui il a 36 ans, il a quelques petites blessures. Son profil plaisait beaucoup à Christophe car c'est un garçon qui fait jouer les autres.

 

Je comprends qu'à Saint-Etienne on veuille avoir beaucoup d'infos, connaître tout. Mais à des moments on fait des choses qui sont plus liées aux moyens, au contexte. Parfois on fait aussi des choses dans l'urgence. Aujourd'hui l'ASSE a clairement une surface financière supérieure à celle d'il y a quatre ou cinq ans. Le club a gagné un trophée, s'est installé dans le top 5, enchaîne les saisons européennes. Sainté a un vécu, une expérience supérieure. Résultat des courses : Saint-Etienne est aujourd'hui un club qui fait rêver. Je ne dis pas qu'il ne faisait pas rêver avant. Mais il fait encore plus rêver aujourd'hui avec les résultats.

 

Merci à Thierry pour sa disponibilité