Au foot bling bling, à l’argent roi, à l’individualisme, aux comportements déconnectés de la réalité.
Fabien Lemoine résistait à tout ce qui nous rend ce sport insupportable.

Il incarnait parfaitement une certaine idée du foot à la papa, papy.

Avec caractère et talent. Un vrai Vert nous quitte.


Tant d’images me reviennent de ses six saisons en Vert. Et spontanément, trois ressortent, fortes, intenses.


Trois images qui disent tout de Papy.


La première, contre Paris, dans le Chaudron, un dimanche soir d’ octobre 2013, les Verts malmènent le QSG. 2-0 à l’heure de jeu, il faut tenir face à des Parisiens qui, comme toujours à GG, sont surmotivés par le cadre et l’ambiance. Ils ne veulent pas lâcher et se montrent de plus en plus dangereux. Sur un contre, Papy vient intelligemment freiner une remontée de ballon de Lavezzi. L’obstruction est sévèrement sanctionnée d’un rouge, alors que Papy se relève, la gueule en sang. L’image est marquante. Papy tombe au combat, s’est sacrifié pour l’équipe, s’est encore une fois battu comme un chien. Avec rage donc mais brio également comme l’atteste sa superbe frappe après le rebond sur la barre en première mi-temps. Sans une faute d’attention coupable au bout du bout du temps additionnel les Verts sortaient victorieux de ce duel homérique. Churchillien comme toujours, Papy aura versé sang, sueur et larmes pour la patrie verte. Sa patrie depuis son coup de foudre pour le Sainté d’Aloisio et Alex.

 

La deuxième image, c’est celle de cette reprise en demi-volée, contre Monaco à Geoffroy-Guichard. Nous sommes en mars 2014 et Papy rayonne dans le milieu de terrain indestructible des plus belles années Galette. Entouré de Clément et Guilavogui ou Cohade, Papy joue sa partition en toute confiance, dans ce rôle de relayeur infatigable, de harceleur intelligent, de taulier qui montre l’exemple en s’arrachant jusqu’à la 94ème. Mais réduire Papy à sa hargne et son intelligence de jeu serait injuste. Dans ses plus belles saisons, Papy en vrai 8 savait apporter le surnombre, être à la fois techniquement propre et décisif offensivement. Comme à Lorient, comme au Beitar, il a su contre Monaco débloquer le match d’un magnifique pion. Cette demi-volée c’est le but dont on a tous rêvé dans nos cours de récré. Le corner, le ballon qui ressort, Papy en embuscade qui donne tout sur une demi-volée koemanienne à la trajectoire aussi violente que parfaite. Cet apport offensif essentiel sautera encore plus aux yeux les deux saisons suivantes (2015 et 2016) lorsque Papy, de plus en plus, tentait de combler les lacunes grandissantes de notre animation offensive. 

 

La troisième image, la plus récente, est issue du dernier derby. Découpé par un écervelé. Effrayé par le niveau de connerie que certains peuvent atteindre, il préféra tout quitter. Geste surréaliste, inédit : quitter le terrain avant le coup de sifflet final, sans y être contraint par une blessure, un changement, ou un rouge ! Le signe sans doute que Papy rendait les armes. Comme un coureur du Tour qui s’arrête en cours d’étape, l’image disait tout du désarroi, du ras-le bol de Lemoine. Au cœur d’une saison où le groupe vivait moins bien, et où son statut avait été sérieusement ébranlé, il décidait, symbole fort, de passer son tour. Il faudrait l’interroger à froid sur ce geste que nous sommes réduits à interpréter : la peur de la blessure grave ? la frustration d’avoir démarré ce sommet sur le banc – lui qui avait su se sublimer dans ces confrontations, souvenons-nous de la victoire 2-1 à Gerland, et lui qu’une non titularisation mettait toujours particulièrement en rogne ? Le sentiment nostalgique que son heure était passée, lui qui plus qu’un autre avait compris que la fin de cycle était là, et ne souhaitait pas jouer les derniers des mohicans ?

 

Qu’importe finalement. Cela faisait un an, depuis son départ avorté à Lorient, que Papy sentait que l’histoire était finie. Ses potes étaient partis ou placardisés. Son corps avait lâché à Nantes pour sa plus grave blessure en vert. Après plus de 3 mois d’absence il avait, nostalgique, confié dans une interview à la Pravda que l’esprit n’y était plus vraiment : "On a commencé un truc en 2011. On a vécu, et ça c'est vu sur le terrain, des années de folie. On déconnait et, une fois à l'échauffement, on se mettait en mode commando. On se sentait forts. On savait qu'on n’irait pas à Manchester ou à Arsenal. Notre projet commun consistait donc à réussir un gros truc à Saint-Etienne. Les jeunes sont de bons gars mais leur approche est différente. Ils veulent décrocher un transfert à 40M€. Il n'existe pas de groupe bien ou pas bien. Saut que le nôtre était exceptionnel. Il y avait un noyau dur de malades. Nous étions par exemple douze à jouer au tarot. Sainté ça a été des moments inoubliables comme le 3-0 dans le derby, la Coupe de la Ligue..."
Et il avait conclu par un  "c'est sûr. Il y a moins d'affinités entre nous" qui annonçait les déconvenues de mai dernier. Alors, dans cette soirée pourtant idyllique du 5 février, Papy a choisi de dire stop. De quitter le terrain, de renoncer aux Verts, et au Chaudron qu’il aimait tant comme il nous l’avait expliqué dans une interview à p² : "j'adore jouer ici à Sainté tous les quinze jours. Ça vibre, on sent que ça pousse derrière, il y a un engouement… C'est ça qui me passionne !"

 

Papy s’en va. Chacun gardera ses propres images. Mais nous sommes tous tristes.