Ancien entraîneur de Jean-Philippe Krasso et Denis Bouanga, le directeur du centre de formation du FC Lorient Régis Le Bris nous livre son avis éclairé sur les actuels numéros 14 et 20 de l'ASSE.


Quels souvenirs gardes-tu de Jean-Philippe Krasso ?

Je connais bien Jean-Philippe pour l’avoir entraîné dans deux catégories au FC Lorient, en U17 et avec la réserve. Je l’utilisais dans un 4-4-2, c’était bien sûr l’un des deux attaquants. Je l’alignais souvent à droite et parfois à gauche. J’ai le souvenir d’un joueur qui était capable de fulgurances assez incroyables. Il a une bonne motricité, il est grand, puissant, il a un très bon pied gauche, une bonne frappe de balle. Il est capable de tout faire, individuellement il réalisait parfois des exploits, il lui est arrivé de traverser tout le terrain et de gagner le match à lui tout seul. Il a surtout fait ça en U17, il a eu plus de mal à l’exprimer en seniors. Il manquait de maturité pour pouvoir faire preuve de régularité.

C’est ce qui l’a empêché de franchir la dernière marche chez vous ?

C’était le souci à l’époque de Jean-Philippe, qui est par ailleurs un garçon adorable, avec un environnement très sain, notamment sa maman. Il n’a pas franchi le cap à ce moment-là, il n’a pas su convaincre que ça pouvait passer dans le football d’adultes. On savait qu’il avait ça dans les jambes, j’imaginais très bien le parcours qu’il est en train de vivre. Il fallait qu’il connaisse la difficulté, qu’il l’affronte, qu’il se dise que son talent ne suffisait pas, qu’il fallait en rajouter sur l’engagement, sur le travail. Tout ça demande un peu de maturité. Il l’a acquise dans le football amateur lors de ses expériences à Schiltigheim et surtout à Epinal.

Quels sont ses principaux atouts ? Que lui a-t-il manqué à l’époque au-delà de son inconstance ?

Jean-Philippe est un attaquant intéressant dans le déséquilibre. Il est capable de garder des ballons face à de l’opposition physique. Sur du jeu d’appui, il a la capacité à la fois techniquement et par son gabarit à garder des ballons. Je trouve que sa grande force c’est sa capacité à attaquer le but de près et de loin. Jean-Philippe est puissant et rapide, habile techniquement. Il a une très grosse frappe. A l’époque, au-delà de son inconstance, il manquait un peu de volume, de capacité à répéter les efforts. Et la gestion de l’erreur pouvait être un peu difficile pour lui. Quand il était en situation d’échec, quand il ratait une occasion ou ne trouvait pas les solutions, il pouvait un peu baisser les bras, être dans le doute et manquer de consistance.

Il n’a pas eu le parcours linéaire d’un Denis Bouanga mais il a finalement réussi à passer pro sur le tard.

Le parcours de Jean-Philippe est très singulier. La fenêtre de maturité classiquement est attendue entre 18 et 21 ans. Mais elle ne correspond pas à tout le monde. Il y a des joueurs de très grande qualité à l’image de Jean-Philippe qui ne sont pas encore prêts à ce moment-là. Comme il y a une très forte concurrence et que l’exigence est très élevée, ils ne franchissent pas le cap et se font un peu submerger par les attentes du moment. Ensuite ils vont dans des clubs où le niveau et les exigences sont un peu moins importants. Ils acquièrent là-bas de la confiance, de la maturité, de l’expérience de jeu et franchissent un cap psychologique.

Il ne faut pas oublier que ça reste des jeunes garçons. J’ai aujourd’hui 44 ans, à 18 ou 20 ans ce n’est pas du tout le même niveau de maturité. Il faut prendre le temps d’appréhender tous ces évènements là et d’avoir aussi cette capacité à affronter la concurrence, peut-être aussi d’ajuster son ambition. Ils idéalisent souvent le haut-niveau, mais la réalité est souvent plus complexe. Quand ils y sont confrontés, ils sont surpris et n’ont pas forcément les réponses. Il faut prendre le temps de maîtriser son environnement. Je suis sûr que Jean-Philippe est bien plus prêt aujourd’hui qu’il ne l’était chez nous.

Jean-Philippe a signé pro, va-t-il s’imposer chez les pros ?

Jean-Philippe a travaillé, il a muri, il a réussi à signer pro à Saint-Etienne, je suis content pour lui. Je lui vois deux forces. D’abord ce qu’il est en tant que footballeur, qui correspond aujourd’hui aux exigences du haut niveau pour un attaquant. Ensuite, je crois que Jean-Philippe peut être aussi porté par l’environnement stéphanois : ce formidable public, cette force qu’il y a autour du club. Tout ça peut aider Jean-Philippe car c’est un joueur qui fonctionne beaucoup à l’affect. S’il sent cette force-là autour de lui, ça peut le sublimer. Après, ça reste un pari. Il n’y aucune certitude en matière de post-formation. Réussir en National 2 est une chose, s’imposer en Ligue 1 en est une autre. Tout reste à faire. Tant qu’il ne l’aura pas fait, on ne saura pas.

Ce qu’il a montré cette saison en Coupe de France face à des clubs de l’élite est plutôt prometteur.

Jean-Philippe a montré en Coupe de France, notamment contre Lille mais aussi contre Saint-Etienne, qu’il avait les qualités requises pour jouer au plus haut niveau. Je n’en doute pas. Ses performances en Coupe illustrent bien son moteur. Jean-Philippe a besoin d’évènements pour se challenger. S’il a ces beaux évènements, il peut vraiment faire de belles choses. C’est tout le mal que je lui souhaite. A Sainté, il a retrouvé Denis Bouanga. Je l’ai eu également en équipe réserve mais un peu moins que Jean-Philippe car il était déjà dans le groupe pro. C’est surtout Franck Haise qui a fait jouer Denis en National 2.

Quel regard portes-tu sur sa carrière ?

Comme j’étais malgré tout directeur du centre, j’ai suivi avec attention l’évolution de Denis. Il a un parcours où il s’est consolidé progressivement. On est tous contents de ce qu’il est devenu aujourd’hui. Il a pris le temps de se consolider : il a été prêté à Strasbourg qui évoluait à l’époque en National, il a ensuite joué à Tours qui était alors un club de deuxième niveau de Ligue 2. Après il a joué une saison en Ligue 2 avec Lorient. C’est progressif tout ça ! Après il a joué à Nîmes et ensuite il est allé à Saint-Etienne…. C’est un vrai métier, footballeur !

Dans son jeu, lui trouves-tu quelques points communs avec Jean-Philippe Krasso ?

Sur certains aspects, Denis et Jean-Philippe se ressemblent. Denis a cette capacité à déséquilibrer, à se créer des occasions pas forcément évidentes. Il a également cette capacité à être décisif. Il a des qualités très recherchées. Il a de la vitesse, de la motricité, un bon pied droit. Il est aussi porté par un environnement, Denis ! Je ne suis pas surpris qu’il ait réussi à Nîmes et qu’il s’impose à Sainté. L’ASSE, ça lui parle beaucoup, forcément, avec un public qui pousse et porte ses joueurs. C’est un club qui a vraiment une histoire. On sent que Denis aime cet environnement stéphanois, il est capable sur une intuition de faire des choses qui sont incroyables.

Es-tu surpris de voir Denis à ce niveau aujourd’hui ? Il a remporté haut la main le titre de meilleur joueur de l’ASSE dès sa première saison en vert !

Je suis ni surpris, ni pas surpris quand je vois le niveau qu’a aujourd’hui Denis. Cela fait maintenant 15 ans que je suis dans la formation, je m’attends à tout en fait ! Tout peut arriver dans la trajectoire des joueurs. Il y a des joueurs qu’on n’attend pas du tout mais qui se révèlent et font des choses incroyables. A contrario il y a des joueurs dont on attend beaucoup et qui s’écroulent. Il y a des joueurs qui progressent tous les ans comme Denis. Cela dépend vraiment de ce qu’ils y mettent et aussi des circonstances. Aujourd’hui Denis a déjà atteint un très bon niveau, il peut faire encore mieux mais aussi faiblir s’il ne fait pas attention. Le sport de haut niveau est une permanente remise en question.

 

Merci à Régis pour sa disponibilité